Les revolvers Colt à barillets pleins portent une gravure sur leur pourtour. Pourquoi et quelle est l'origine de ces gravures, en particulier celles des Dragoon et des Navy?
De l'introduction de sa nouvelle gamme de revolvers à l'orée des années 1850 et jusqu'à ce que son brevet tombe dans le domaine public, Samuel Colt a dépensé beaucoup de temps, d'argent et d'énergie pour lutter contre son principal problème: la contrefaçon. Depuis la recherche des producteurs de ces contrefaçons jusqu'aux nombreux procès, c'était une part importante de son activité et une préoccupation constante aussi largement due à son caractère.
C'est dans ce contexte (un peu parano) que les gravures de barillet ont vu le jour.
Appliquées à l'aide d'un rouleau en acier trempé portant le motif en relief, cette opération demandait une machinerie spéciale qui n'était pas à la portée de tous. La gravure devait donc permettre de différencier les vrais "Colt" de leurs contrefaçons. Il ne faut pas oublier que dans les anéées 1850 les Colt étaient très chers au point qu'il y a eu des manifestations pour réclamer une baisse des tarifs. Mais en bon homme d'affaires, Samuel Colt avait compris qu'il n'avait que quelques années pour bâtir son empire et sa fortune sur ses brevets.
Les motifs des gravures comportaient aussi un message commercial qui n'excluait pas un certain esprit de revanche chez Samuel Colt. Pour comprendre, il faut revenir un peu en arrière.
Avant de fonder sa société nouvelle à Hartford il avait déjà créé une première usine à Patterson. Les armes Colt de cette époque sont d'ailleurs appelées Patterson par les collectionneurs. Le plus curieux dans l'histoire des débuts de Colt est son lien involontaire avec l'histoire du Texas, hasard ou destin?
En tout cas, ses premiers revolvers sortent d'usine en 1836 alors que Fort Alamo est assiégé à des milliers de kilomètres de son usine. Après Alamo les Texans parviennent à vaincre les Mexicains et à arracher leur indépendance à Santa Anna mais celui-ci, dès que rentré à Mexico, dénonce le traité et menace à nouveau le Texas. D'autre part, les Etats Unis refusent d'admettre le Texas dans l'Union pour ne pas déséquilibrer l'équilibre entre états esclavagistes et libres. Le Texas reste donc une république indépendante jusqu'en 1846.
Pendant ce temps, Samuel Colt tente en vain d'intéresser le gouvernement US (et d'autres ) à sa nouvelle arme. Seul le Texas qui n'a que des effectifs dérisoires à opposer aux Mexicains et aux Comanches décide de donner un avantage à ses hommes en les équipant de revolvers, même s'ils ne sont pas encore très au point.
Lorsqu'en 1846, sous la présidence expansionniste de Polk, le Texas est intégré dans l'Union et que s'en suit une guerre contre le Mexique, c'est un ancien Texas Ranger servant dans l'armée US qui convainc le gouvernement US de l'intérêt d'un revolver Colt revu et corrigé et qui permet à Colt, qui a fait depuis faillitte, d'obtenir son premier contrat militaire et de se relancer.
C'est donc tout naturellement que Colt se fonde sur ses armes Patterson utilisées par les Texans pour choisir les motifs de ses barillets.
Tout d'abord pour le dragoon, la gravure raconte une escarmouche célèbre entre une bande de Comanches et des Texas Rangers armés chacun d'une paire de Patterson. Pour la circonstance, l'arme étant destinée aux dragons, il remplace les Rangers par des dragons US...mais tout le monde comprend l'allusion.
Pour son nouveau revolver en cal. 36, destiné à être porté à la ceinture (belt) il choisit une autre "bataille": un engagement entre des bateaux texans et la marine mexicaine. Les marins texans avaient des Patterson qui n'ont nullement influés sur la victoire mais Colt avait déjà fait de la pub autour de cette histoire dans les années 1840. Du coup l'arme prit le nom de Navy sans être particulièrement destinée à la marine.
Colt a donc utilisé ces gravures pour rappeler les passé "glorieux" de sa companie autant pour la pub que pour rappeler que le Texas lui avait fait confiance quand tout le monde lui tournait le dos. Une revanche mais aussi de la gratitude pour cet état auquel il devait tout.